Gabriel Dia est un photographe qui vit et travaille en France. Il est né en décembre 1985 à Rufisque, près de Dakar au Sénégal. À l’occasion de ses études supérieures, il décide de venir en France en 2003 où il obtient un diplôme d’ingénieur dans le génie civil. En parallèle, il développe une pratique artistique à travers l’écriture. Son départ pour la France est également motivé par des questions personnelles, son homosexualité étant mal acceptée.

Après sept ans de travail dans le génie civil, il décide de se lancer dans la photographie suite  la découverte de l’œuvre de Sarah Moon, une photographe française dont le style est reconnaissable pour son style poétique où le flou et les effets optiques contribuent à créer des ambiances éthérées et hors du temps. C’est alors que Gabriel Dia décide de se former à la photographie et étudie à l’école parisienne EFET.

Le Sabar est une danse traditionnellement réservée aux femme chez les Wolofs du Sénégal. “Sabar”, est un terme wolof polysémique qui désigne à la fois le moment social de festivité organisé par les femmes, les tambours de forme conique (et de tailles différentes) utilisés à cette occasion, ainsi que certains des rythmes joués.

Lors du Sabar, les rôles de chacun sont définis en fonction de leur genre: les femmes dansent tandis que les hommes jouent de la musique. Ces derniers peuvent aussi participer en tant que spectateurs. Le sabar est un moment d’expression pour les femmes, qui bénéficient alors d’un plus grand espace de liberté.

Les femmes dansent le sabar en solo,  au centre des spectateurs et musiciens, dans un espace assez limité. Leurs pas sont plutôt aériens et ponctués de sauts (tep). Le dos est légèrement courbé, le bassin rejeté vers l’arrière, ce qui permet aux danseuses une plus grande stabilité et rapidité de mouvement des bras et des jambes, très mobiles.

Dans la série photographique Sabar, Gabriel Dia revisite à la fois une pratique culturelle wolof et un souvenir d’enfance. Il y utilise un jeu d’inversion entre la lumière et l’ombre pour renforcer la force visuelle des images, et lier le passé et le présent. Enfant, Gabriel Dia a dansé lors d’un événement public sans savoir que cette danse est traditionnellement réservée aux femmes. Marqué par la colère que cette action a causé chez sa mère, il décide de revisiter ce souvenir en dansant à nouveau le sabar 26 ans après. Par ce geste immortalisé par la photographie, Gabriel Dia affirme sa présence et son identité sexuelle. Dans sa version de la danse, il regarde l’objectif, comme pour affirmer encore plus fermement sa présence, et rompt ainsi avec le sabar dansé par les femmes où leur regard est tourné vers le ciel. Ses poses reprennent celles du sabar: le corps semble flotter, comme s’il amorçait un saut, et ses bras et jambes forment des angles aigus, traduisant à la fois l’ampleur des mouvements de la danse et son caractère expressif.

Ces choix affirment sa présence et son désir de questionner, par la photographie et la danse, la place attribuée aux hommes et aux femmes dans la société wolof aujourd’hui, et à toute personne qui ne s’y retrouve pas. Le photographe produit ainsi un autoportrait dans lequel il met en regard cet héritage culturel et son identité personnelle.

Pour réaliser ses photographies, Gabriel Dia place un négatif sur l’objectif, créant ainsi un voile visuel qui inverse les ombres et la lumière dans l’image. Sa silhouette paraît presque évanescente, fantomatique, alors que son visage et son regard gagnent en intensité et expressivité. Comme pour prolonger sa réflexion sur les frontières entre les genres, Gabriel Dia intègre des photographies de plantes dans Sabar. Les formes abstraites et dynamiques des tiges, ou souples et fluides des plantes tombantes, évoquent elles aussi le corps du danseur à demi contorsionné et enchaînant les poses.

© Gabriel Saba. Série Sabar, négatifs noirs et blancs, 2020.