L’invitation du 17 octobre 2024 est :  » Pareil/ Pas pareil ». Une invitation définit ce qui est à faire ensemble à l’occasion d’une Grande Lessive®. Son libellé bref et énigmatique éveille curiosité et réflexion. Chaque invitation questionne des pratiques de tous registres et engage à abandonner les représentations toutes faites. La coopération indispensable à une manifestation d’art participatif impose de ne pas la modifier et d’accepter de cheminer avec d’autres personnes à partir de ce référent commun.

Au terme d’un processus créatif, une réalisation suspendue au fil de La Grande Lessive® développe ainsi une identité propre en laissant deviner une même impulsion. Des réalisations issues d’approches et de médias différents (photographie, image numérique, dessin, peinture, etc.) dialoguent alors au sein d’une installation éphémère. Et, le regard qui s’y intéresse, interroge à son tour l’invitation initiale afin d’ébaucher d’autres possibles.

Invitation pour La Grande Lessive® du 17 octobre 2024
Pareil/ Pas pareil

Helmut Palla Cahir, 2006, DR

Pourquoi cette invitation ?

Certaines images reçues après chaque Grande Lessiveâ interrogent : comment se fait-il que des modèles soient reproduits par-delà les océans et du principe à mettre en oeuvre ? En effet, La Grande Lessiveâ propose de concevoir des voies singulières afin de permettre à chacune et chacun de découvrir la sienne, et d’accomplir quelques pas en direction des arts. L’invitation du 17 octobre offre ainsi l’occasion d’expérimenter le « pareil » et le « pas pareil ».

Un point d’appui commun

Toujours énigmatique, une invitation (et non un thème qui déclinerait maintes versions de l’arbre, du portrait, etc.) interroge. Que signifie « pareil » ? Que veut dire « pas pareil » ? Quels que soient les participants et le lieu où se déroule La Grande Lessiveâ, définir l’adjectif « pareil » se vérifie une étape incontournable pour déterminer ce qui est à faire ensemble.

Une invitation appelle réflexion et échanges. Il est possible de la clarifier en trouvant des synonymes (semblable/pas semblable, unique/pas unique, etc.) ; de l’illustrer par des situations (la naissance, la mort, etc.) ; de se référer à des êtres vivants, des objets (la cafetière, la bicyclette, etc.), des couleurs (un rouge/des rouges, etc.), des matériaux (tissus, briques, etc.) ; d’évoquer des sujets de livres, films ou pièces de théâtre (l’amour, la guerre, le voyage, etc.) ; de se souvenir d’images (rêves, peintures, photos, etc.) ; de recenser les jeux basés sur les différences et les ressemblances (jeux des 7 erreurs, de paires, d’échecs, vidéo, etc.)… Le projet est de saisir certains ressorts de la perception, de la pensée et des arts. Le repérage de constantes et de variations est, en effet, l’une des clés pour apprendre à regarder et à créer. La capacité à introduire des différences en est une autre en général nommée « imagination ».

De tels échanges font entrevoir des cheminements et amorce des pratiques. Ils aident, peut-être, aussi à comprendre que La Grande Lessiveâ s’intéresse autant aux problématiques touchant la société dans laquelle tout écart par rapport aux modèles imposés a des conséquences, qu’aux démarches artistiques qui s’emparent de modèles pour introduire distances, perturbations, variations, nuances ou ruptures. Ainsi, pour trouver des idées, nous pouvons puiser dans la vie aussi bien que dans les arts qui s’y intéressent ou bien s’en émancipent.

Joseph Kosuth, One and Three Chairs (Une et trois chaises), Installation, bois, tirages photographiques,
Centre Pompidou, Paris, DR

Une démarche créative

 « Pareil/ Pas pareil » est un point de départ commun qui invite à passer du « pareil » au « pas pareil » pour enclencher une démarche de création, et non à choisir l’option qui nous convient le mieux. Par conséquent, sur le fil de La Grande Lessiveâ, il n’y aura pas une, mais deux réalisations par personne. L’évolution de ces réalisations devra être perceptible pour enrichir les réflexions individuelles et collectives.

  • Dans la première, il s’agira de rechercher une ressemblance avec un élément issu de l’environnement ou d’un autre domaine, sans choisir le même qu’une autre personne du groupe afin d’introduire une part de singularité et de corser le jeu.
  • Dans la seconde, la multiplication des différences avec sa première réalisation, mais aussi avec celles d’autres personnes, sera le défi à relever.

LeiXue, Drinkingtea, Sculpture, porcelaine peinte à la main, unique. 11,5 x 3,5 x 3,5 cm., 2015,
Galerie Hubert Winter, DR

Constater qu’une réalisation (dessin, peinture, photo, etc.) ressemble à une autre constitue une base pour en élaborer une plus singulière. Trois, quatre réalisations ou davantage seront peut-être nécessaires à une même personne afin de cheminer sur un sentier qui lui sera propre.

En effet, des apprentissages et des recherches sont indispensables. Ils peuvent cependant s’effectuer sous la forme d’un jeu durant lequel on change toutes les 5 ou 10 minutes de support en vue d’imaginer du « pas pareil ». De tels déplacements multiplient les questions et de ce fait les pistes empruntées. Des étendages d’étapes avant le jour « J » contribueront aussi à cette prise de conscience. La Grande Lessiveâ étant intergénérationnelle, ils le seront aussi et ce sera d’autant plus étonnant de constater que des personnes d’autres générations ont trouvé des « idées » proches des nôtres et amusant de transformer les réalisations qui se ressemblent. En complément, savoir que les œuvres sont souvent définies comme étant « ce qui jamais deux fois ne se voit » permettra de s’étonner de ressemblances multiples et d’éprouver le désir de relever le défi du « jamais-vu ». Cependant, pour faire du « pareil » ou du « pas pareil », le « déjà-vu » et des références sont également utiles. Visites effectives ou virtuelles d’expositions, et visualisation d’œuvres nourriront les pratiques artistiques.

Des problématiques artistiques

En arts, le « pareil » a constitué pendant longtemps, à la fois, la base de l’apprentissage et l’ossature de la création. On apprenait dans l’atelier d’un maître, on revisitait une oeuvre connue à sa façon. Puis, au XIXe siècle, la modernité a privilégié la nouveauté et le jamais vu. Toutefois, depuis l’avènement de l’ère industrielle et de la société de consommation, nombre d’artistes s’emparent aussi de la reproduction pour interroger la définition de l’œuvre. Ils utilisent l’unité et le multiple ou le semblable et l’unique, la boîte de conserve, le cube ou le carré, le corps et ses représentations, etc. Leur projet est de donner à voir, et souvent de critiquer, ce que le poids du quotidien empêche de discerner.

Martial Raysse, Life is so complex, 1966, 150,5 x 260 x 4,5 cm, Musée de Grenoble

Dans le même temps, les pratiques en vogue à l’école ont établi la duplication d’un modèle prescrit à chaque élève en schéma limitant leur intervention expressive et créative. La photocopie sert ainsi de support à des ajouts colorés et à quelques caviardages. La Grande Lessiveâ n’emprunte pas cette voie scolaire, pas plus qu’elle n’incite à faire « à la manière de… ». Elle propose de faire des pas de côté !

« Pareil /Pas pareil » invite à entreprendre une démarche artistique en sollicitant des décisions, des partis pris et des pratiques personnels. Trancher entre le « pareil » et le « pas pareil » est le lot des artistes depuis la nuit des temps. D’explorations diverses en réalisations abouties, d’abandons en trouvailles, une réalisation originale et personnelle prendra formes, couleurs, textures et significations. Plusieurs réalisations seront nécessaires pour muter du « pareil » au « pas pareil ». Le format A4 sera identique à celui des autres, soit le plus partagé à la surface de la planète depuis le XXe siècle. Toutefois, ce « pareil » ne sera « pas pareil » : il aura été transformé en espace créatif unique, avant d’être suspendu en plein-air au fil d’une manifestation d’art participatif ouverte à toutes et à tous.

Raoul Hausmann, Le critique d’art, lithographie et photocollage sur papier, encre de Chine et crayon,
31 x 25 cm, 1919, Tate Modern, Londres, DR