La découverte de La Grande Lessive s’est faite dans la ville de Fouras. Entourée de vielles pierres, elle étendait les dessins, les photos, les collages des élèves de la ville, des habitants aussi. Le vent faisait danser l’oeuvre collective, composée des interprétations individuelles du thème de cette édition printanière. Les sourires s’échangeaient avec les commentaires sous le soleil. C’était joli, réjouissant, contagieux. Et j’ai été contaminée avec l’idée fixe d’organiser à mon tour cet évènement dans mon village, avec la complicité des bénévoles de la bibliothèque municipale. À Rivedoux-Plage, le lieu est une place centrale où toutes les générations se rencontrent pour emprunter un livre, discuter de lecture et du temps. Nous avions accroché un modeste fil sans certitude sur le nombre de feuilles qu’il accueillerait. Là encore, la magie a opéré. Un petit garçon est venu avec sa mamie, main dans la main, complices, avec chacun un dessin. Des élus ont contribué. Les paroles, la joie se partageaient autour du fil, en oubliant les différences sociales, de génération. À Carcassonne, j’ai vu les fils de La Grande Lessive devant la Cité médiévale et de l’autre côté de l’Aude, sur la place à l’entrée de la Bastide. Partout, l’initiative s’affranchit des limites que l’on s’impose, les frontières invisibles entre les gens, entre les quartiers, les carcans enserrant notre créativité. La joie simple de vivre ensemble un moment rare, inédit partagé est prégnante.

Et puis, cet automne, j’ai proposé à mes collègues de participer à La Grande Lessive « Tous des oiseaux ? ». Nous travaillons dans un écrin de verdure chaleureux où se côtoient des étudiants venus de tous horizons, de pays du Sud, de France et d’ailleurs, étudier l’agronomie. Après les confinements successifs, l’idée était venue au fil d’une conversation où l’envie de se retrouver dans un moment joyeux et inédit semblait essentielle. Comment reprendre le fil d’une vie au travail normale, où les rires ne sont jamais loin, comment retrouver les étudiants en présentiel pour qu’ils se sentent à nouveau chez eux ? En tendant un fil, la réponse était simple et immédiatement adoptée. Le thème parlait spontanément aux ornithologues amateurs, aux voyageurs, aux rêveurs, aux artistes et à ceux que nous accueillons, d’ici et d’ailleurs. Comme à chaque fois, le jour J, nous ne connaissions ni la quantité, ni la teneur des productions. Et comme d’habitude le résultat était coloré, joyeux surprenant, étudiants comme personnels avaient contribué en toute confiance.

Se lancer dans une telle aventure est à la fois simple (l’installation nécessite peu de matériel) et aléatoire. Cette incertitude en fait aussi le charme. À quoi ressemblera l’étendage, quelles interprétations recueillera-t-il ? Les consignes données fournissent un cadre qui laisse toute liberté à l’interprétation. Les formes sont variées, donnant à chacun le média qui lui convient pour s’exprimer, une photo, un dessin, un collage ; tout est possible pourvu qu’il respecte le format et visite le thème. Le collectif est un écrin rassurant, on ne produit pas pour soi, on contribue à une œuvre commune et éphémère. On accroche à côté des autres, on regarde, on s’interroge, on dialogue, surpris par son audace tout autant que celle de ses collègues ou des étudiants. On s’est lancé, on a osé briser le carcan posé sur notre imagination et on le fait ensemble.

Le principe fonctionne auprès de tous les publics, de tous les âges. Pour une école d’ingénieurs comme celle où je travaille, l’appel à l’imagination, au partage, est un moyen de laisser de côté un moment la rigueur des méthodes et des outils étudiées pour faire appel à la créativité d’une façon simple. Cet habillage coloré des espaces partagés est une respiration. Les œuvres individuelles laissent apparaître les personnalités, les cultures différentes, celles des étudiants, celles des enseignants et celles des personnels administratifs. Les timides sont encouragés par le climat cordial à prendre à leur tour une feuille, des feutres, des photos, de la colle, et à venir accrocher leur interprétation. Le cheminement le long des fils ouvre le dialogue. L’oeuvre collective se profile aussi ainsi, dans un sentiment de cohésion qui embrasse les différences, qui stimule la communication, l’inclusion. L’imagination a alors pris le dessus sur des relations sociales enfermées dans une norme inexprimée mais présente. La Grande Lessive ne dure qu’un jour. Les fils repliés le soir laissent toutefois une trace indélébile du côté du vivre ensemble.

Monique Royer,
Ingénieure pédagogique, Institut des régions chaudes