Née au Japon en 1973, Miho Kajioka étudie d’abord la peinture à l’Art Institute de San Francisco, puis se tourne vers la photographie, et termine sa formation artistique à la Concordia University de Montréal, au Canada. De retour au Japon, laissant l’art de côté, elle se lance dans le journalisme, et travaille pendant 10 ans comme documentariste et productrice pour les télévisions et medias étrangers. Alors qu’elle couvre le tremblement de terre et le tsunami de 2011 sur la côte pacifique du Japon, un choc esthétique réveille sa pratique artistique: au milieu du chaos et des décombres de cette catastrophe meurtrière fleurit un rosier. La grâce inouïe de cette vision post-apocalyptique l’amène à renouer avec la photographie, développant un langage personnel et intimiste dévoué à révéler la beauté du quotidien. Aujourd’hui, Miho Kajioka vit à Kyoto et présente son travail sous forme de livres et de tirages photographiques exposés dans le monde entier. Son ouvrage so it goes a obtenu le Prix Nadar en 2019.

And, Where Did The Peacocks Go? (Et, où sont passés les paons?)

Première série issue de son expérience de la catastrophe naturelle et nucléaire de 2011, And, Where Did The Peacocks Go?  évoque la brutale confrontation de l’artiste avec la beauté de la nature abandonnée, certes violentée mais effrontément insoumise. Peu après sa découverte du rosier en fleurs, elle lit un article sur l’existence de paons restés dans la zone évacuée par la population locale (près de 110 000 personnes) “J’ai tout de suite imaginé ces paons, leurs magnifiques ailes déployées, marchant dans la ville déserte[…] C’était comme si deux images radicalement opposées – les ruines, le chaos et les paons majestueux – se chevauchaient sans jamais s’unifier. Depuis, je vois ces deux mondes, presque partout et constamment» explique l’artiste. Toutes de petits formats, les photographies de cette série reflètent le regard que porte Miho Kajioka sur ces deux mondes: fragments de réalité capturés puis transformés, les contours deviennent irréguliers, les contrastes exacerbés, une brume semble recouvrir ces images fragiles et délicates qui dialoguent et se répondent, toujours présentées à plusieurs, sous forme de nébuleuse au mur dans le cadre d’une exposition, ou sous forme de récit dans le livre éponyme.

“L’eau rend le monde plus beau en le reflétant, moins précis mais plus poétique. J’aimerai pouvoir y vivre. Peut-être ce que j’essaie de faire avec mon appareil photo est très proche de ce que l’eau fait.” Miho Kajioka pratique un art de la transformation, démarche plus proche de la peinture que de la photographie, qui passe par différentes étapes: à l’aide d’un appareil photo ou de son téléphone qui l’accompagne partout, elle capture d’abord des instantanés du quotidien, enregistrant tout ce qui l’interpelle, et constitue ainsi une collection visuelle qui lui sert de matériau de base pour la création de ses œuvres. Ensuite, elle manipule ces images dans la chambre noire à l’aide de différentes techniques de tirages argentiques, jouant avec le format, la composition, les contrastes, et le temps d’exposition. Après l’impression, elle utilise la chimie et le thé pour ajuster les teintes. Enfin, elle termine avec les angles, qu’elle arrondit le plus souvent, et les bordures du papier épais, parfois dorées. Travail chronophage, complexe et alternatif, son processus créatif, à la dimension artisanale revendiquée, aboutit à la production de tirages uniques, même s’il s’agit d’une image plusieurs fois tirées.

Kajioka Miho, série Where do the Peacocks Go? 2018, Photographie argentique ©Miho Kajioka