Qu’est-ce qu’une piste ?

 

Une piste permet de passer de l’inaction à l’action, de l’absence de pratique à l’amorce d’une démarche artistique. Elle offre un support à la réflexion, oriente des recherches. Si les réalisations conçues pour la prochaine « Grande Lessive » venaient à se ressembler au sein d’un même collectif, si les références artistiques conduisaient – non pas à découvrir sa propre manière de faire – mais à imiter plus ou moins maladroitement une oeuvre ou un artiste, cet état de fait serait inverse à celui attendu ici.

En effet, entre anticipation et évaluation, les pistes aident à définir une approche singulière. Elles ne sont ni des modèles à suivre tels quels ni à prescrire. Réservées à un usage personnel, ces pistes sont régies par la propriété intellectuelle. Toute diffusion sur tout type de support (site, document de stage, etc.) doit faire l’objet d’une convention avec l’association La Grande Lessive® et d’une rétribution.

Une méthode ?

 

La démarche créative débute par le questionnement de l’invitation. Quels mots ? Quelle expression ? Quelles significations pour les plus jeunes ou des adultes ? Cette invitation change à chaque « Grande Lessive » afin d’investir différents registres et problématiques des arts plastiques. De la diversité des voies investies dans le respect de la proposition initiale naissent la coopération, le partage de connaissances et de compétences, de même que la portée sociale et artistique de cette entreprise collective.

 

Un projet coopératif ?

 

Il s’agit de concevoir, un même jour tout autour de la Terre, une installation artistique éphémère au moyen de fils, de pinces et de réalisations de format A4 conçues à partir d’une invitation commune. Cette installation se réalise en extérieur. Son agencement demande d’envisager l’invitation du moment, les contraintes météorologiques, techniques et de sécurité, l’intervention et le déplacement de, personnes, etc. Comme chaque réalisation individuelle contribue à une oeuvre collective issue de la coopération, le respect de l’invitation initiale est primordial. C’est pourquoi les pistes ne reformulent pas, mais la questionne.

Tobias Faisst, DR

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Favoriser échanges et questions

Can sun, DR

L’invitation est toujours le point de départ d’un atelier. Elle est à considérer comme une énigme à résoudre en associant des temps individuels et collectifs. Par conséquent, « Pareil/pas pareil » ouvre un débat. Que signifie « pareil » ? Que veut dire « pas pareil » ?

Trouvons des synonymes de « pareil » : analogue, comparable, conforme, égal, équivalent, identique, inchangé, même, ressemblant, semblable, similaire, tel. Examinons ses antonymes : autre, contraire, différent, disparate, dissemblable, distinct, divers, inégal. Explorons sous cet angle des situations de la vie quotidienne, les moments de la journée (lever de soleil, nuit, etc.), les intempéries (pluie, orage, etc.), dans la faune et la flore, l’actualité, l’histoire, les arts, etc.

« Pareil/ pas pareil » se situe au principe même des arts plastiques qui ont longtemps recherché la ressemblance au moyen de l’imitation avant d’emprunter d’autres voies créatives. « Pareil/ pas pareil » fait écho également aux processus d’apprentissages durant lesquels l’imitation cède la place à d’autres pratiques et accomplissements. « Pareil/ pas pareil » interroge aussi l’identité dans le cadre d’une manifestation d’art participatif et citoyen.

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Repérer constances et différences

L’un des objectifs est de réussir à repérer des constantes pour être capables d’introduire des différences afin d’apprendre à regarder et à créer. Une branche d’arbre, une chaise, un lit, un œil, une oreille peuvent servir à amorcer comparaison, déduction, invention… Ensuite, il s’agit de repérer sur quoi agir pour provoquer des différences. Formes, couleurs et textures sont les composantes d’une réalisation plastique à deux dimensions, mais il y en a d’autres ! Néanmoins, à partir d’elles, une infinité de combinaisons s’offre déjà à nous.

Ellsworth Kelly, “Apples Paris”, 1949, Pencil on paper, 43.4 x 56.4 cm, MoMa, DR (d’après Paul Cézanne)

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Comment faire une première réalisation ?

Les artistes prennent souvent appui sur le monde pour créer. Ainsi, l’observation de notre environnement immédiat permet d’identifier ce qui le constitue. Nous disposons alors de « modèles » pour expérimenter notre capacité à les représenter de façon ressemblante. Faire « pareil » en tous points sera impossible, cependant l’accumulation d’analogies facilitera la reconnaissance de ce qui est déjà connu. L’intention est de se rapprocher le plus possible de ce qui est regardé avec des moyens plastiques : formes, couleurs, textures, etc. Dessin, peinture, collage, photographie et autre image numérique sont envisageables, y compris successivement afin qu’une même personne apprécie l’incidence de techniques différentes, non seulement sur l’esthétique de la représentation, mais sur l’effet de réalité.

Joseph Kosuth, One and Three Chairs (Une et trois chaises, Installation, bois, tirages photographiques,
Centre Pompidou, Paris, DR

La règle du jeu de cette Grande Lessive® est facile à appliquer : chaque personne choisit un point de départ différent de celui des autres personnes présentes dans un même groupe. On recense ce qui se trouve dans un même lieu : chaise, table, sac, crayon, chaussure, fenêtre, arbre, plante, aliments, etc. On essaie de trouver un nombre d’éléments supérieur à celui des personnes présentes afin d’offrir un choix suffisant. Puis, chaque personne choisit un élément. Si deux optent pour le même, les deux en changent ou s’entendent pour ne pas le représenter avec la même technique, à la même distance ou sous le même angle de vue. Si les éléments disponibles ne conviennent pas à une ou plusieurs personnes, la recherche se prolonge pour ajouter des éléments en allant du plus petit au plus grand, de l’ensemble à un détail, etc. Cette investigation permet aussi de comprendre que les artistes font feu de tout bois : des chaussures usagées, des asperges, de la poussière, des pylônes électriques, des ossements, des cailloux…

La difficulté peut être accrue en prenant un même objet et en demandant d’en réaliser des versions aussi différentes que possibles : une chaise, un lit, une table…

Mona Hatoum, Webbed II, 2002, DR

Rebecca Horn, Ron bed frame, butterfly wings, metal constructions, motors, 1990.
Courtesy Galerie Thomas Schulte.

Le choix d’un fruit à représenter constitue une expérience partagée depuis les débuts de la peinture. On peut l’apporter soi-même ou un panier commun peut rassembler une variété de fruits. Chacun en choisit un avant de le représenter, entier ou non, d’abord le plus ressemblant possible avant de le transformer (formes, couleurs, matières, textures, taille, proportions, styles…) et/ou de l’introduire dans une composition (nature-morte ou still-life, paysage, etc.). Le principe de la série est possible : un même fruit sera alors décliné en d’innombrables versions.

Gérard Gasiorowski, Fleurs, Les régressions, la guerre, 1973, DR

Il en va de même pour un animal, un insecte ou tout autre être vivant. Si l’observation directe dans son milieu naturel est impossible, l’utilisation d’une photographie facilitera sa représentation au plus près de ce qu’il donne à voir, avant de modifier tout ce qui peut l’être dans une seconde version explorant le « pas pareil » et d’autres dimensions : le fantastique, le géométrique, etc.

Le choix de la représentation humaine en dessin, peinture, collage, photographie ou autre image numérique est également possible, dans la mesure où le corps compose le motif majeur d’œuvres de toutes époques et arts.

Un main ou un œil peuvent également servir d’appui. Un œil observé en utilisant un miroir pour se regarder constitue déjà une prouesse. Il sera « pareil » et « pas pareil ». Puis il s’agira de faire évoluer sa représentation en jouant sur sa taille, ses proportions, son orientation, ses couleurs, ses formes, le cadrage, son style, son expression, le contexte (visage, affiche, machine, monstre, etc.).

Pablo Picasso, Autoportrait, 1901, huile sur toile, 81 × 60 cm, Musée Picasso, Paris, DR

Pablo Picasso, Autoportrait face à la mort, 972, Mine de plomb et crayon à la cire sur papier, 65,7 x 50, 5 cm, Fuji Télévision Galery, Tokyo, DR

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Comment représenter l’élément choisi ?

Le support de la représentation est « pareil », pour toutes et tous. Il s’agit d’une feuille de format A4, soit le plus partagé sur la planète. Il utilisé, en particulier, pour la reproduction de documents par photocopie et impression numérique. En ce cas, son usage produit du « pareil ». En vue de La Grande Lessive®, nous transformons ce support en espace créatif unique. Mais comment ?

Afin de singulariser une représentation, il est envisageable d’agir sur une multitude de repères. Vos recherches permettront de compléter ce premier inventaire dont les participants doivent avoir connaissance pour savoir sur quoi agir.

  • La distance à laquelle un modèle est regardé,
  • Le point de vue (frontal, dessus, dessous…),
  • L’angle de vision (droite, gauche, centre),
  • Les plans : premier, arrière-plan, etc.
  • Le cadrage : très gros plan, gros plan, vue d’ensemble, etc.
  • Les codes de représentation dont la perspective fait partie,
  • Les ombres et lumières qui favorisent l’impression de volume,
  • La ou les formes issues ou non d’un contour, d’une découpe, etc.
  • La ou les couleurs,
  • La ou les textures,
  • Les techniques,
  • Le style : réaliste, surréaliste, cubiste, expressionniste, pointilliste, conceptuel, etc.
  • Le propos : valoriser, dénoncer, etc.

Une représentation faite par une personne n’a pas à ressembler à celle d’une autre tant il existe de moyens d’action et combinaisons ! Pour le vérifier et, surtout, pour apprendre des autres, quoi de mieux que de suspendre toutes les réalisations à un fil tendu à cet effet ? Au premier regard, ressemblances et différences se révéleront avant le jour « J ». Dès lors, accentuer les différences constituera un temps créatif de l’élaboration accessible à toutes et à tous.

En effet, à cette étape, chacune et chacun aura pris plusieurs appuis :

  • Un élément de l’environnement choisi par ses soins différent de ceux retenus par d’autres,
  • Les moyens de représentation qui auront été présentés comme tels, car il faut savoir sur quoi nous pouvons agir. C’est la même procédure avec un véhicule, une console de jeu ou un logiciel de correction d’images.
  • Les réalisations menées par d’autres afin de situer la sienne entre « pareil » et « pas pareil », avant d’agir pour accentuer la singularité de la sienne.
  • Le langage qui sert à nommer et préciser ce qui se joue.
  • Le regard qui élabore et invente avec la pensée et la main.

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Comment concevoir la seconde réalisation ?

La première réalisation sert d’appui afin de ne pas faire « pareil ». En l’observant, il s’agit maintenant de faire varier tout ce qui peut l’être (formes, couleurs, textures, styles, sens, expression, histoire, etc.) pour que la seconde soit différente.

Défi supplémentaire, la seconde réalisation ne doit ressembler à aucune autre issue des membres du groupe !

Chacune et chacun doit regarder sa première réalisation pour identifier ce qui est modifiable. En réalité, tout l’est ! La visualisation de l’iconographie publiée sur ce site aux rubriques invitation, pistes et repères, peut favoriser une telle prise de conscience. En effet, quantité de démarches artistiques reposent depuis toujours sur « Pareil/ pas pareil », le même et l’autre, etc. L’œuvre fut même souvent défini comme « ce que l’on ne verra jamais deux fois », soit l’unique ! Apprendre à regarder revient ainsi à identifier des constances ou permanences et les variations ou ruptures introduites.

Avant la seconde réalisation, un temps réservé à la curiosité tous azimuts d’œuvres actuelles et passées, bénéficiera à l’invention du « pas pareil ». L’accrochage ne s’effectuera pas sur un fil à linge. Il se déploiera sur un fil invisible qui relie les œuvres entre elles depuis les origines des arts. Le comprendre est important pour saisir ce que symbolise le dispositif de La Grande Lessive®. Son fil n’est pas un simple support pour exposer une réalisation, il matérialise les liens tissés entre nous par-delà les époques et les générations afin de continuer à créer.

Le rapprochement, puis la comparaison entre la première et la seconde réalisation permettra d’estimer le chemin accompli. L’étendage sur un fil des réalisations aide à voir si c’est « pareil » ou « pas pareil ». Cette étape peut être décomposée en suspendant d’abord les secondes réalisations et les considérer entre elles. Puis en associant la première et la seconde réalisation pour chaque personne et pour l’ensemble du groupe. À chaque fois, des modifications sont possibles, à plus forte raison si elles sont perçues comme étant souhaitables par l’auteure ou l’auteur de la réalisation concernée. Ensuite, c’est parti pour l’étendage de La Grande Lessive® qui peut donner prise à un nouvel atelier !

Anonyme, Maître des Pays-Bas, Paysage anthropomorphe, seconde moitié du XVIe siècle, bois de chêne,
50,5 x 65,5cm, Bruxelles, Musée Royal des Beaux-Arts de Belgique (tableau réversible), DR